vendredi 29 février 2008

Modération en cours...

Pour ceux qui voient leur commentaire disparaitre, qu'il ne s'inquiètent pas, ce n'est pas un problème technique, c'est moi.
Comme je sens bien que la tension monte, je suis plus vigilant...
Aussi j'ai sucré aujourd'hui :
  • des insertions répétées d'une adresse internet renvoyant à un tract d'une liste, sans commentaire ni présentation ni lien avec le thème du massage ;
  • un dérapage verbal faisant une fine allusion à un candidat ;
  • des insertions de chapitres entiers de bouquins ;
  • une insulte à un autre bloggeur.
Que du bonheur !...

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Cadres de la mémoire communiste et mémoires du communisme
Les autobiographies : récits exemplaires ou esquisses d’auto-analyse ?



La mémoire comme dimension du phénomène communiste.

Les réflexions qui suivent sont issues d’une recherche sur le Parti communiste français. Pour autant elles signalent moins sa spécificité nationale, son implantation dans le terreau français en même temps que sa condition de parti qui, pour être puissant au moins jusqu’au milieu des années soixante-dix n’en est pas moins globalement resté à l’écart du pouvoir central – que les facteurs qui ont contribué à l’homogénéisation du mouvement communiste international, dont la « mémoire ».
La notion de « mémoire collective » , quand elle est pensée comme « faits de communication entre individus » et « interpénétration des consciences » , plutôt que comme « mémoire historique », usage, instrumentalisation voire falsification de l’histoire, suggère cependant que tout souvenir, tout récit de vie ou autobiographie s’inscrit peu ou prou dans des cadres sociaux de la mémoire, dans des schémas narratifs partagés et ce d’autant plus que le sujet y exprime non la multiplicité des possibles d’une vie mais le « en tant que » qui en motive la mise en récit. Appliquée au cas du Parti communiste français, elle autorise l’hypothèse que les autobiographies, vies de dirigeants ou de militants exemplaires, les histoires de vie des militants et adhérents anonymes telles qu’elles se racontent au sein des communautés d’existence que constituent les structures partisanes ou telles que le sociologue peut en solliciter l’expression, voire les autobiographies des ex-communistes, participent au moins pour partie des mêmes cadres de la mémoire et contribuent ensemble, en retour, à leur permanence ou à leur transformation.
Certes, entre celui, porte-parole autorisé ou mandaté, qui fixe son récit par l’écrit et celui qui ne fait qu’accepter de livrer son histoire, justifiée d’être encore appelée « expérience », il n’y a pas équivalence. Dans un cas, existe le souci de parler à la première personne du singulier, quand bien même celle-ci ne serait que l’expression particulière d’un collectif, ou au moins la conviction que ce récit-là vaut la peine d’être connu pour l’exemple, l’histoire dont il témoigne, voire l’individualité exemplaire qui s’y exprime. Dans l’autre cas, à l’inverse, il n’y a pas d’évidence à ce que cette histoire-là, spécifique donc anecdotique, partagée donc ordinaire, présente en sa singularité une once d’intérêt. Pour autant, dans l’un et l’autre cas, les cadres de la mémoire sont présents, dans les justifications même de la démarche autobiographique autant que dans les dénégations qui constituent le prélude ordinaire au récit de l’histoire de vie. Autobiographies d’institutions et récits de vie construisent les cadres de la mémoire en même temps qu’ils les épousent. Cadres de l’intelligibilité, cadres de l’organisation et cadres de la socialisation se conjuguent ainsi pour autoriser l’expression de la mémoire et en limiter dans le même mouvement les contenus . Là encore, l’analyse qui suit ne vaut en toute rigueur que dans le contexte de l’avant 1989, dans lequel elle a été formulée.
Les cadres de l’intelligibilité, pour l’essentiel la référence au marxisme comme science et comme philosophie de l’histoire, c’est à dire le « marxisme-léninisme », induisent une représentation étroitement déterministe et par conséquent une écriture finalisée de l’histoire. Dès lors que « pour ne pas se tromper en politique », il faut tout à la fois « regarder en avant » et rappeler les « leçons de l’histoire », la « science » et les « lois » du développement historique légitiment le projet communiste, ainsi soustrait au débat proprement politique, mais autorisent de surcroît la mise en perspective du passé à partir du présent telle que les Manuels et autres productions destinées à la formation des militants la réalisent. Si on peut dater de 1938 l’achèvement du corpus « marxiste-léniniste », avec la publication de l’Histoire du Parti communiste (bolchevik) de l’URSS et l’intervention de Staline en matière de théorie marxiste , les thèses énoncées à cette occasion survivront à la déstalinisation, non seulement comme principe d’écriture de l’histoire mais également comme représentation partagée par les militants qui, engagés dans l’action politique, pensent l’avènement d’une société autre. La didactique stalinienne a ainsi constitué une grille de lecture du passé, du présent et du futur largement et durablement partagée. Parce qu’elle se donne pour science de l’histoire et connaissance des lois de son devenir, la vulgate marxiste-léniniste motive l’intérêt pour le passé en même temps qu’elle en conforme l’exposé à un sens préétabli.
Les cadres de l’organisation renvoient à la pratique du secret, de l’esprit de parti et de l’autocritique au sein de l’organisation, aux formes de la hiérarchie et au renouvellement des militants. Le secret, lié à la conception même du parti révolutionnaire, est revendiqué, sinon comme valeur, au moins comme pratique nécessaire, défensive et offensive. De la pratique du secret découlent des effets fortement liés les uns aux autres : initiation, hiérarchie et centralisation, si on met l’accent sur les structures de l’organisation ; confiance, transparence et esprit de parti, si on porte attention aux normes qui définissent le comportement attendu des militants, dans et hors l’organisation. L’ensemble de ces effets constituent les cadres organisationnels de la mémoire dans la mesure où ils limitent objectivement les contenus possibles de l’évocation du passé. Le secret en tant que tel, et les caractéristiques organisationnelles qui l’accompagnent, le renouvellement des militants et la structure sédimentaire de la hiérarchie, aboutissent à l’absence de transmission et à la disparition progressive d’un certain nombre de souvenirs. L’esprit de parti, qualité individuelle, favorise la rétention des souvenirs inadaptés à l’image que le parti prétend offrir de lui-même et l’occultation volontaire de tel événement ou figure passés, dont l’évocation serait nuisible à l’intérêt du parti, tel que les dirigeants le conçoivent et l’explicitent parfois ou tel que les militants se le représentent spontanément.
Les cadres de la socialisation ne sont distingués que pour l’analyse. Ils renvoient à l’adhésion, et à la diversité de ses significations. Considérer ici les diverses manière d’adhérer – de plus ou moins « faire corps » avec le parti et l’univers des valeurs communistes – ce n’est pas décider d’un mode de rapport entre « l’appareil » et la « base » mais, au contraire, tenter d’apprécier ce qui fait la spécificité du Parti communiste français comme milieu de socialisation et prendre la mesure de ce qui rapproche le responsable politique du militant plutôt que de ce qui les sépare, souligner dans l’un et l’autre cas la multiplicité des groupes d’appartenance auxquels participe l’individu, notamment en termes de mémoire, dans la synchronie comme dans la diachronie. A cet égard, les cadres de l’intelligibilité comme les cadres de l’organisation – particulièrement les représentations déterministes de l’histoire collective et de l’itinéraire individuel et les comportements et attitudes induits par le secret, l’esprit de parti, ou encore la pratique de l’autocritique – constituent bien évidemment la matière de la socialisation communiste. Formellement, c’est en adhérant que le non-communiste devient communiste et se met en état d’intégrer les valeurs, compétences, pratiques et savoirs du groupe – notamment ceux qui concernent le passé et son interprétation. Reste que les manières d’adhérer sont diverses, selon qu’on est ouvrier ou pas, né dans une famille communiste ou pas etc.. La socialisation opérée au sein du parti –le travail d’homogénéisation des représentations qui s’accomplit dans l’adhésion – est réduction de la diversité. A cet égard, la mémoire historique élaborée au sein de l’organisation et l’appropriation par les individus de références partagées au passé constituent un des fondements de la socialisation. Les autobiographies des responsables communistes qui mêlent dans des proportions variables informations sur le passé, interprétations de l’histoire et récits de vies exemplaires jouent ici un rôle privilégié.

Les autobiographies de militants et de responsables communistes

Dès le début des années trente, la création de deux collections « mémoires révolutionnaires » et « épisodes et vies révolutionnaires » souligne l’importance que les éditions du PCF accordent à cette « forme anecdotique de l’histoire », « la plus populaire, la plus goûtée du grand public » . Autobiographies et souvenirs sont appelés à remplir une fonction didactique et apparaissent donc comme un support privilégié de la formation des militants à l’histoire de leur organisation. En même temps, ces ouvrages prescrivent l’identité et assurent la cohésion des communistes : « Nous – écrivait J. Marcenac en 1950 – au contraire (des écrivains de la réaction), nous n’avons qu’à regarder nos amis, notre passé de luttes, et le sujet, grand, exaltant, est là » . Sur le fond, sinon dans le style, cette citation restitue bien l’esprit de la plupart des témoignages et autobiographies publiées par le PCF. Depuis la fin des années soixante où la création d’une collection « Souvenirs » aux Editions Sociales coïncide approximativement avec le début de la publication des Mémoires de Jacques Duclos, le genre autobiographique a bénéficié d’un surcroît de faveur. La collection « Souvenirs » a publié plus d’une vingtaine de titres entre 1966 et 1977. S’y ajoutent bientôt des ouvrages plus marginaux d’intellectuels communistes, André Stil, Louis Daquin ou Raymond Lavigne, qui participent d’un mouvement éditorial plus général et constituent une forme de réplique aux témoignages critiques d’anciens communistes publiés dans les années qui suivent la rupture du Programme commun de la gauche. Les motivations exprimées par les auteurs ou éventuellement par les préfaciers – dont François Billoux, Jacques Duclos, Etienne Fajon, Léo Figuères, Georges Marchais et Georges Séguy– relèvent avant tout du souci de contribuer à l’histoire. Mais on peut également exalter les joies de la vie militante ou illustrer un principe de morale communiste, tel la fidélité à l’origine de classe. Deux points méritent un examen particulier: d’une part, ce qu’on peut appeler la « rhétorique du souvenir » c’est-à-dire la part plus ou moins grande de l’autobiographie au sens strict dans ces ouvrages, d’autre part, le caractère stéréotypé de ces récits.
Ecrire est avant tout un acte militant où l’on anticipe les effets qu’on veut produire. Contre les falsifications anticommunistes, les erreurs ou l’ignorance, il s’agit de montrer la réalité du parti et de restituer une vérité. La mise en situation de « l’homme communiste » obéit néanmoins à des règles diverses et la part du retour sur soi dans ces récits varie considérablement. On peut d’emblée distinguer trois types d’ouvrages :
- Les témoignages ponctuels, c’est-à-dire les récits, limités, d’un segment vécu de l’histoire.
- Les récits de vie au sens où sont restitués des itinéraires qui vont de l’enfance au présent.
- Les récits de formation qui s’arrêtent au moment de l’adhésion ou de l’entrée en politique.
La restitution d’une séquence du passé par ceux qui l’ont vécue vise à donner l’accent de l’authenticité, de l’irréfutable à des descriptions et à des analyses parfois fortement marquées par l’esprit de parti. Pour la plupart, ces ouvrages concernent la Seconde guerre mondiale et la participation communiste à la Résistance. Ainsi, Fernand Grenier, dans la préface à l’édition de 1970 de C’était ainsi, publié pour la première fois en 1959, souligne-t-il que la publication de ses souvenirs des années 40-45 visait alors à rappeler que la Résistance et la Libération n’avaient pas été le fait du seul De Gaulle . Tous s’efforcent en fait de relater une histoire collective et de passer, selon la formule de Léon Moussinac dans Le Radeau de la méduse « de l’aventure personnelle d’un homme aux prises avec son passé à l’aventure commune des hommes en lutte contre la misère, la faim, le désespoir ». Dans l’ensemble, ces témoignages qui restituent le récit d’une période de la vie d’un acteur déjà militant laissent peu de place à la réflexion autobiographique.
Les récits de vie sont de ce point de vue plus ambigus. Ici le modèle dominant – au moins pour les dirigeants – est inauguré par Fils du peuple . Autobiographie certes mais aussi histoire et, au gré des éditions successives, programme. La vie de Thorez, ainsi que le répètent commentateurs et hagiographes et ce jusqu’à l’édition de 1970, c’est un « morceau de l’histoire de France », « inséparable de l’histoire du Parti Communiste français et des luttes d’un demi-siècle de la classe ouvrière » . Ici, de la même manière que plus tardivement dans les mémoires de Jacques Duclos, de Georges Cogniot ou de Gustave Ansart, on peut distinguer le récit de l’éveil et de l’apprentissage politique, la restitution d’un cheminement vers l’adhésion, et le témoignage de l’acteur politique. A partir de l’adhésion en effet, il s’agit à nouveau de l’histoire du parti bien plus que du vécu individuel. Ces récits décrivent des itinéraires exemplaires. De Thorez « fils et petit-fils de mineur » à Cogniot, devenu intellectuel, mais « resté lui-même peuple », tous sont des militants exceptionnels mais ils sont aussi des archétypes communistes où chacun est invité à se reconnaître. Le dirigeant communiste devient alors le miroir du peuple communiste.
Cette dimension qu’a analysée Jacqueline Mer à propos de Fils du Peuple est particulièrement évidente dans les récits de formation où l’autobiographie est l’objet même du livre. Il s’agit avant tout de montrer comment on devient communiste . Le livre de Florimont Bonte, De l’ombre à la lumière, illustre particulièrement bien comment l’adhésion est aussi conversion. Mais là encore, l’essentiel n’est pas dans la vérité de l’individu mais dans l’identité du groupe telle qu’elle s’exprime dans les itinéraires individuels. On peut être à la limite de la fiction, peu importe. Ainsi ce qu’écrivait Aragon à propos d’Enfance de Paul Vaillant-Couturier : « Le petit Paul était bien lui tout en ne l’étant pas … un mélange de souvenirs ordonnés pour former une image type de jeune français ».
Bref, dans tous ces récits, de la restitution d’une expérience militante à celle de l’enfance, le « je » est toujours d’une certaine manière un « nous ».
Pour autant, les autobiographies de communistes varient bien évidemment selon que l’auteur est un cadre du parti – « responsable » dans tous les sens du terme - et s’exprime en tant que tel ou selon qu’il est un intellectuel communiste – sans responsabilité politique. Dans tous les cas de figure, ce sont aussi des souvenirs qui s’expriment, plus ou moins conformes aux normes que produisent les cadres sociaux de la mémoire. A cet égard, il faut encore souligner l’évolution du genre autobiographique chez les communistes comme chez les ex-communistes. Ainsi quand les premiers s’en tiennent pour l’essentiel à la vérité politique du moment, ils n’en laissent pas moins percer çà et là leur vérité intime, notamment quand celle-ci se trouve enfin autorisée par les revirements politiques et historiographiques du parti. C’est notamment le cas après la déclaration du Bureau politique de 1977 sur le rapport secret de Khrouchtchev et plus encore dans la foulée de la thèse du « retard pris en 1956 » appelée à partir du début des années quatre-vingt à rendre compte des revers du Parti communiste français : les autographies communistes rendent alors compte du « choc » provoqué par la révélation des crimes de Staline, des raisons de leur fidélité voire en analysent les ressorts . Symétriquement, les autobiographies des anciens communistes, partagent tout ou partie des stéréotypes qui caractérisent les autobiographies communistes, notamment quand les auteurs sont des adhérents d’avant-guerre d’origine ouvrière . De fait, l’évolution récente du genre, décrite et analysée par Bernard Pudal et Claude Pennetier, donne à voir la prégnance des modèles – dont, sans nul doute, l’exercice autobiographique lui-même - et l’émergence d’un souci de réflexivité et de socio-analyse qui fait pièce au caractère supposé exemplaire de la trajectoire . La fiction autobiographique – qui n’entend plus proposer une « image-type » de communiste (cf. supra) – mais au contraire se donner la liberté de la critique participe encore de la variété croissante du genre et de l’individualisation des récits .
De ce point de vue, les autobiographies publiées de responsables ou de dirigeants communistes peuvent être lues de deux manières, non exclusives d’ailleurs, selon qu’on insiste sur les modèles, les exemples et les contenus historiques qui relèvent de la pédagogie organisée dont ils se veulent les promoteurs, ou selon qu’on les situe au pôle extrême d’un axe idéal-typique de l’ « identité narrative » partisane. Quant à la mémoire du communisme, telle que les autobiographies et les récits des ex-communistes permettent de la saisir, elle pourrait relever de la même analyse qui souligne les effets des cadres sociaux de la mémoire en même temps que la diversité des appartenances – dans la synchronie comme dans la diachronie - et donc la concurrence des « notions », selon l’expression de Halbwachs, qui permettent d’analyser le monde. Jusqu’à ce point où la mutation du Parti communiste français conjuguée à la montée en puissance des mémoires concurrentes aboutit à la disparition progressive des cadres de la mémoire communiste.


La notion de "mémoire communiste", en amont de toute observation empirique, apparaît trop évocatrice pour n'être pas trompeuse. Familière, évidente, elle induit une représentation schématique ou tronquée d'une réalité somme toute assez complexe. Car, la "mémoire communiste", c'est, bien sûr, la mémoire historique, et la volonté de mémoire qui s'expriment dans la commémoration, l'hagiographie, l’autobiographie exemplaire et l'écriture finalisée de l’histoire. Mais, c'est aussi, à n'en pas douter, les souvenirs que conservent et transmettent - ou non - les militants communistes, cette mémoire vive qui s'exprime dans l'acte de narration, en famille, dans les cellules, dans l'autobiographie qu'on écrit pour soi et les siens ou dans le témoignage qu'on livre « pour servir l'histoire » et témoigner de la légitimité des convictions passées.

La mémoire du communisme : quelques hypothèses

On tirera de ce détour par la mémoire comme dimension du phénomène communiste deux conclusions apparemment contradictoires.
La première met l’accent sur l’efficacité limitée de l’histoire officielle et des techniques politiques de contrôle du passé : les militants communistes, volontaires dans leur effort de formation et d’acquisition des savoirs et interprétations historiques prescrits, confiants et toujours prêt à s’en remettre au parti, à se laisser convaincre et expliquer que les revirements qu’ils constatent s’inscrivent dans une ligne politique inchangée parce que infaillible, n’en conservent pas moins un quant à soi, marqué par l’expérience vécue. Leurs souvenirs portent la trace de la socialisation communiste, s’insèrent dans des chaînes narratives partagées mais n’en résistent pas moins à l’histoire officielle quand celle-ci rentre en contradiction avec leurs représentations. Certes, ils sont soumis, notamment à partir de la fin des années cinquante, à des informations qui concurrencent celles du parti. Certes, la pluralité des appartenances et des milieux de socialisation fait de « l’homme communiste » l’exception plutôt que la norme . Il n’empêche que la diversité des représentations du passé qu’on constate chez eux donne à penser que là où l’histoire officielle se préoccupe d’autant moins de la vraisemblance qu’elle ne risque pas d’être contredite et s’impose indifféremment à des milieux consentants ou hostiles, les souvenirs de l’expérience vécue ou transmise résistent d’autant mieux. Plus encore, quand l’histoire officielle se révèle grossièrement falsificatrice, la mémoire est une institution qui a du poids : elle n’est pas seulement la meilleure ressource « pour assurer que quelque chose s’est passé avant que nous en formions le souvenir » , elle est la seule. « Je me souviens » devient un argument dont nul ne conteste la validité. En ce sens, la mémoire du communisme dans la diversité de ses formes et de ses contenus est bien un effet de la pratique politique des communistes, de la mémoire comme dimension du pouvoir communiste : l’éclatement des mémoires, la fragmentation des interprétations du passé, peuvent être interprétées comme une conséquence paradoxale de la volonté d’unité et de la répression de la communication, de la mise en récit publique des expériences partagées.
La seconde conclusion souligne à l’inverse la prégnance des cadres sociaux de la mémoire, leur capacité à générer des représentions du monde et interprétations du passé, lentement transformées, qui donnent sens aux souvenirs individuels. A cet égard, la mémoire du communisme est doublement tributaire de la mémoire communiste. D’une part, de la même manière que l’irruption de la réalité avec la révélation des crimes de Staline en 1956 n’a guère entamé la croyance de le plupart des militants communistes français ni leur capacité à penser le « sens » de l’histoire, les cadres de la mémoire communiste en tant qu’ils ont été cadres de la socialisation survivent sans doute pour partie à l’effondrement des régimes communistes. D’autre part, la mémoire comme dimension du phénomène communiste signifie encore des pratiques sociales partagées, dont la valorisation de l’autobiographie constitue peut-être un exemple privilégié.

Si une série d’études menées en Bulgarie – mais dont les conclusions renvoient explicitement à l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientales - souligne bien la diversité des opinions et attitudes quant au communisme, il apparaît également que les enquêtés les plus âgés –ceux donc qui ont une expérience directe de « l’ancien régime » - se montrent globalement plus enclins à juger favorablement cette période, tandis que les plus jeunes se montrent beaucoup plus sévères. Faut-il interpréter ce clivage de générations en termes de résistance au changement et souligner alors la césure radicale que constitue 1989? ou faut-il s’interroger sur la distance qui sépare le « communisme raconté » d’aujourd’hui du « communisme vécu » d’autrefois? Quand le communisme est l’objet de récits contradictoires destinés à légitimer les nouveaux acteurs politiques –anticommunistes ou héritiers des anciens partis – l’attention portée à l’expérience vécue du communisme permet de distinguer diverses générations au sein de la période et souligne tout à la fois « une certaine dynamique politico-sociale de la société communiste, du moins suffisamment ample pour influencer les mentalités et les comportements » et l’ambivalence des représentations du communisme notamment dans les trois premières générations, qualifiées de « bourgeoise », « stalinienne » et « post-stalinienne », alors même que le consensus post-communiste est anticommuniste .

S’agissant de la Russie, passée la période de la perestroïka où les souvenirs de la tragédie stalinienne sont l’ordre du jour tandis que le débat sur le passé achève de disqualifier l’histoire officielle, il semble que le stalinisme voire la question de la mémoire ont cessé d’être d’actualité , tandis que la disqualification globale du système soviétique s’accompagne d’un retour nostalgique à la période précédente. Ailleurs, la prolifération des études sur la « mémoire », des interrogations sur la manière de régler les comptes du passé, l’explosion des témoignages, autobiographies et biographies marque les contextes post-communistes. Au-delà des procès, lois de lustration et mécanismes de décommunisation qui, pour être évoqués en termes de mémoire, relèvent plutôt de la question politique de l’épuration et de la définition de la culpabilité, quelques hypothèses peuvent être formulées à propos des raisons de la mémoire, toujours entendue au sens de mémoire historique et de mémoire vive .

Une première raison renvoie bien évidemment à la débâcle de l’histoire officielle, et à la révélation conjointe de l’existence de la diversité des points de vue, au souci partagé d’évoquer des expériences jusqu’ici invisibles parce que non susceptibles d’être mises en récit dans l’espace public. Souvenirs privés, mémoires de groupes spécifiques, notamment de victimes , débats autour de l’identité nationale, de la nécessaire réécriture des manuels d’histoire, des commémorations, de la conservation ou de la destruction des musées et autres monuments communistes: toute la palette de ce qu’il est convenu d’appeler « mémoire » est présente. S’y expriment « l’ambition véritative de la mémoire » autant que les nouveaux usages politiques du passé. A cet égard, il convient également de souligner que la fragmentation des mémoires qui se révèle à l’occasion de l’implosion du socialisme réel tendrait à attester encore des limites de l’emprise de « l’histoire officielle » et de l’homogénéité de ces sociétés : quand on admet peut-être trop facilement l’unicité de l’histoire officielle, celle-ci est cohabitation de fait – ne serait-ce qu’en raison de sa propre variabilité dans la durée – de plusieurs récits et interprétations ; de même, les sociétés en question, dès lors qu’on les étudie « par le bas », se révèlent plus hétérogènes qu’homogènes. Outre l’étude déjà mentionnée sur le « communisme multiple » en Bulgarie, une recherche sur la socialisation politique en RDA, fondée sur des entretiens autobiographiques, de personnes nées dans les années 40, 50 et 60, appartenant à l’élite, loyale à l’Etat, souligne encore l’hétérogénéité des processus de socialisation et de ce fait les différences entre les groupes étudiés .

Une deuxième raison, évidente elle aussi, relève de l’histoire du temps présent qu’il convient d’établir et notamment de l’histoire de la vie quotidienne voire des représentations ordinaires du communisme. Les témoignages et les journaux intimes constituent à ce titre une source privilégiée . Mais d’autres questions comme celle de la nature du pouvoir communiste sont également à l’origine du détour par la mémoire. Ainsi Zdenek Konopasek, prenant le contre-pied de la question d’actualité - la rapidité de l’effondrement des régimes communistes -, est-il allé chercher les raisons pour lesquelles ils ont duré dans les représentations et les actes les plus intimes. A partir d’un exercice de socio-analyse fondé sur huit autobiographies, l’attention portée au quotidien, au local, au familial, et à l’individuel permet de décrire les formes d’adhésion, de résistance silencieuse, d’accommodation ou de passivité qui ont constitué la réalité du socialisme tchèque .

Une troisième raison peut être trouvée dans le débat proprement politique, largement focalisé sur une forme de « guerre civile » des souvenirs et des symboles . Le passé est une ressource politique parmi d’autres, éventuellement à défaut d’autres. Il est la source de la légitimité politique, comme de la disqualification. Autobiographies et biographies d’anciens dirigeants communistes ou de représentants de l’opposition anticommunistes en témoignent notamment.

Une quatrième raison interprète encore la prolifération des autobiographies et biographies. Certes, il s’agit bien pour les élites politiques, passées et présentes, de justifier une position, et de revendiquer ou d’asseoir une légitimité que le passé rend toujours problématique . Mais la notion de Biokratie qui qualifie parfois l’ex-RDA suggère que la forme autobiographique est aussi, plus largement, une séquelle de la mémoire comme dimension du phénomène communiste. Thomas Lindenberger défend ainsi l’idée que les sciences sociales contribuent à inventer aujourd’hui une identité est-allemande qui ne va pas de soi, par les notions de « culture » et « biographie », lesquelles constituent certes des « arguments » contre la dévalorisation globale de la société est-allemande, mais contribuent en retour à une homogénéisation fictive du corps social, interdisent d’en étudier les clivages, et assurent entre passé et présent une continuité paradoxale . De fait, compte tenu de l’ouverture au public des dossiers de la STASI, la question de l’autobiographie et de la biographie occupe en Allemagne une place privilégiée tant dans les recherches universitaires que dans les œuvres de fiction .

D’autres raisons encore pourraient être avancées, parmi lesquelles l’internationalisation de la problématique de la mémoire (qui aboutit notamment, selon Liliana Deyanova, à subventionner de l’extérieur des études sur la mémoire ). Ou encore les volontés contradictoires qu’expriment la revendication par les victimes de la justice d’une part, le refus par les autres du soupçon d’indignité et de la stigmatisation de sociétés qui n’étaient pas, loin s’en faut, sans évolution dans les formes même d’exercice du pouvoir, sans distinctions, sociales, politiques, générationnelles.

A l’Est comme à l’Ouest la question de la mémoire du communisme s’inscrit au moins pour partie dans les cadres de la mémoire communiste. L’explosion des témoignages autobiographiques – le souci de témoigner et le désir de comprendre le sens de sa propre existence – manifestent ici et là les effets pervers de l’histoire officielle, mémoire « empruntée » s’il en est . Pour autant, le caractère conflictuel de la mémoire du communisme ne se réduit pas à l’opposition des souvenirs, que caractériserait « l’ambition véritative de la mémoire » et de la mémoire communiste, entendue comme représentations et interprétations sous influence. S’il y a un enseignement général à tirer de l’observation des mécanismes de la mémoire communiste, c’est que la mémoire, dès lors qu’on la considère dans sa dimension sociale et partagée, est un travail, entendu au sens de l’interaction entre les politiques de la mémoire et les souvenirs : le souvenir de l’expérience vécue peut, on l’a vu, résister à l’emprise de l’histoire officielle, encore appelée mémoire historique, mais tout souvenir est cependant pris, dès lors qu’il est évoqué, dans des cadres de la mémoire – quels qu’ils soient - qui lui donnent un sens. Et les souvenirs des persécutions et des crimes des régimes communistes n’échappent pas non plus aux usages politiques du passé qui en constituent l’interprétation partagée. A cet égard, on ne saurait sous-estimer la signification de l’impact du Livre noir du communisme, à l’Ouest comme à l’Est, et des polémiques qui en sont nées. La mémoire du communisme, les mémoires du communisme, constituent bel et bien un enjeu politique présent , sont un effet du présent au moins autant qu’elles sont un effet du passé. Ce pourquoi sans doute le récit exemplaire n’est plus audible tandis que l’esquisse d’auto analyse – qui peut varier de l’auto justification à l’auto critique – ne l’est plus que pour ceux qui partagent encore au moins pour partie les cadres de la mémoire communiste ou la conviction que l’idée communiste ne s’est pas dissoute avec les régimes qui s ‘en réclamaient.

Anonyme a dit…

Hum... pas sorti de la cour d'école, dans la tête, hein ? Bah...

Anonyme a dit…

Désolé Ibidem mais je me répète aussi: moi quand c'est trop long je ne lis pas...
De plus s'approprier le travail des autres par un copier/coller, c'est plutôt frêle comme créativité et irrespectueux pour son auteur véritable... à moins que ce soit un des auteurs présents au dernier salon du livre
Et ça témoigne de l'impuissance à laquelle ils en sont arrivé pour utiliser cette méthode...

Trop petit dans sa tête pour qu'il comprennent que cela ne sert à rien...

Anonyme a dit…

Antares, tu cliques sur la tête grise à côté de Anonyme...cadre de la mémoire communiste...
Et son texte disparaît.
Pratique, hein ? pour les discours castristes...

Anonyme a dit…

Merci du tuyau, Grognon !

Anonyme a dit…

Anonyme a dit; 3cadres de la mémoire communiste...., STP, mets- nous directement le lien!http://www.celat.ulaval.ca/histoire.memoire/Mem_et_postcom/MC_Lavabre_fr.doc:cela nous évitera une lecture assez fastidieuse d'un commentaire que tu n'as pas écrit!
En quoi cela fait-il progresser le débat? En dehors de toute considération politique, c'est vraiment rasoir! Un effet cependant, non négligeable à cette heure-ci; parfaitement soporifique comme analyse.
Et pourtant je vote "à droite", même si je trouve que parfois ce clivage gauche-droite est réac au possible, mais bon, on n'en sort pas, alors... Bonne nuit!

Anonyme a dit…

Tu as raison Son De cloche! Modère, modère...

Concernant les insertions de chapitres entiers de bouquins, je comprends que l'étalage du "je sais que je sais" puisse lasser les personnes (comme moi) qui savent qu'elles ne savent rien.

Quant à savoir qui est le plus proche de la vérité, nul ne le sait...

Anonyme a dit…

lassant!!!!
c'est voulu, mais de grace efface ce genre de litterature! mais qui a envie de s'abrutir à cette lecture. si l'on décide de "s'instruire". on a des classiques. et pas besion de ces esquisses.....
bof. boff .bofff...